Quand la destruction de notre patrimoine architectural est infligée par des agents extérieurs, c’est très douloureux, mais quand elle résulte d’une décision par ceux qui sont supposés en être les gardiens, on ne peut qu’en être saisi. Tel est le cas de la synagogue située au 24 de la rue Copernic, appartenant à l’Union Libérale Israélite de France (ULIF), et dont le conseil d’administration a décidé la démolition, sous prétexte de construire un bâtiment neuf, négligeant totalement la valeur patrimoniale de l’édifice.
Cette synagogue fait partie intégrante de l’histoire de l’Union Libérale Israélite de France. Le bâtiment d’origine fut loué en 1907, puis acheté en 1921. Dès 1923-1924, la communauté fit construire la synagogue actuelle qui, sans être classée monument historique, est presque centenaire.
L’importance de cet édifice dépasse la petite communauté qui fut fondée en 1907, après la loi de la séparation entre l’Église et l’État, et dont la devise “Tradition et modernité” signale sa volonté de concilier le respect du legs du passé, avec les changements affectant notre société actuelle. Tout d’abord, si les congrégations juives avaient construit des synagogues au tournant du siècle, ce n’était plus le cas dans les années vingt, époque à laquelle l’avenir s’annonçait déjà plus sombre pour les Juifs de France, comme pour ceux de l’Europe en général. Les synagogues manifestant le style Art déco sont donc rares en Europe : celle-ci en représente un exemple tout à fait exceptionnel.
Parmi les éléments caractéristiques du style Art Déco, on note d’abord la verrière au-dessus de l’estrade (la bimah), portant une étoile de David rayonnante : une création du peintre Pierre-Jules Tranchant (né en 1882), élève de Jean-Paul Laurens. Sur les murs, on observe des frises en bas-relief portant des ornements floraux et des inscriptions en lettres dorées, contraste qui constitue l’un des traits caractéristiques de l’Art déco. De part et d’autre de l’arche sainte, des motifs représentent un vase et une lyre. Sans doute l’aspect le plus remarquable de cet édifice est la salle centrale elle-même : les poutres de son plafond plat soutiennent une coupole, en sorte que le poids de cette dernière n’est pas distribué directement sur les murs porteurs. Même si des morceaux de décor devaient être réutilisés dans la nouvelle construction, cet élément capital serait définitivement perdu.
Cette réalisation exceptionnelle est l’œuvre de l’architecte Marcel Lemarié (1864-1941). Rationaliste, artisan des matériaux nouveaux et théoricien (auteur de L’Architecture moderne et l’hygiène, 1901), il fit construire deux édifices de première importance. D’abord un immeuble de 1908 destiné à l’origine à la Direction des Postes (93, boulevard du Montparnasse), visible encore aujourd’hui et, en 1912, le “Théâtre nouveau” (situé dans la cour du 23-25, rue de Belleville). Il s’agissait d’un édifice admirable, dont l’ossature en béton armé avait permis d’installer deux étages de bal-cons plongeants, en porte-à-faux au-dessus du parterre. À l’époque, la presse compara cet édifice avec le Théâtre des Champs-Élysées – alors en construction, par Auguste Perret –, préférant toutefois celui de Lemarié. Devenu le cinéma Belleville Pathé, le bâtiment fut fermé en 1961 et détruit lors de la rénovation du quartier.
Lemarié fut gravement blessé en 1917, mais il survit à une trépanation et fut décoré de la Légion d’honneur. À cet égard, la synagogue de la rue Copernic permet d’apprécier sa production de la période suivant l’Armistice, dans un langage classique-moderne fidèle à la ligne de l’ensemble de sa production et surtout intéressante par sa conception structurelle.
En sus de sa valeur esthétique, la synagogue fut marquée par l’histoire. En le 3 octobre 1941, des miliciens français firent exploser une bombe qui causa la destruction partielle de l’édifice, que la communauté reconstruisit en 1946. Ensuite, le vendredi 3 octobre 1980, au sortir de l’office, un attentat fut perpétré par le groupe d’Abou Nidal, causant quatre morts et de nombreux blessés. Fracassée, la verrière fut restaurée, tout comme le bâtiment dans son ensemble.
La démolition de cet édifice ferait disparaître un exemple important de l’œuvre d’un architecte novateur, une synagogue unique en son genre, et un lieu témoignant de l’histoire parisienne et de ses drames les plus poignants.
Llewellyn Brown
Association pour la Préservation du Patrimoine de Copernic (APPC)
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