Le projet de rénovation de l’hôpital Lariboisière remonte à plusieurs années. Sa réalisation ne devrait plus tarder, l’exécution étant prévue de 2018 à 2024. A première vue, l’opération satisfera les défenseurs du patrimoine, dans la mesure où elle ne semble pas attenter à la partie historique – déjà très malmenée – des bâtiments construits entre 1846 et 1854 par l’architecte Martin-Pierre Gauthier (1790-1855). Ce dernier, professeur à l’Ecole polytechnique, était Grand Prix de Rome et élève de Charles Percier. Son nouvel hôpital, le Versailles des pauvres comme on le qualifia longtemps, fut perçu comme l’un des plus prestigieux de Paris : le coût élevé – près de neuf millions de francs-or – avait été en partie couvert par une exceptionnelle donation de la comtesse de Lariboisière (le legs correspondit à plus du tiers de l’investissement). Inspiré du Royal Navy Hospital de Plymouth, l’ensemble se conformait aux exigences d’hygiène défendues par les théoriciens en séparant les locaux en six pavillons autonomes – trois pour les hommes, trois pour les femmes, soit un total de six cents lits. L’influence en fut considérable dans l’histoire de l’architecture hospitalière, qui devait rester pour près d’un siècle fidèle au système pavillonnaire. Disposés en peigne, les bâtiments se situent de part et d’autre d’une grande cour intérieure traitée en tapis vert et enveloppée de galeries à arcades, dans le goût de la Renaissance italienne. L’édifice fut somptueusement construit en pierre de taille. Il se rattachait par ailleurs à une prestigieuse composition urbaine, associant le chevet de la nouvelle église Saint-Vincent-de-Paul au portique d’entrée de l’hôpital : il s’agit du Clos Saint-Lazare, vaste lotissement en croix de Saint-André que traverse obliquement le boulevard Magenta. La situation de ce quartier neuf était en bord de ville, butant sur le boulevard de la Chapelle (celui-ci coupé en son milieu par le mur des Fermiers généraux). Traitée en jardin et plantée d’arbres, la partie arrière de l’hôpital en était séparée par un long mur dont il reste une partie, assez dégradée, vis-à-vis du quartier de la Goutte d’Or (jusqu’en 1860, à l’extérieur de Paris).

L’état actuel de l’hôpital Lariboisière

Conçu pour être un hospice, l’hôpital Lariboisière adoptait les exigences de contrôle propres aux lieux d’enfermement : placé au centre d’un grand enclos, il disposait d’une entrée monumentale unique, facile à surveiller – chacun de ses pavillons étant lui-même séparé de la promenade centrale par un sas d’entrée. De nos jours, l’évolution de l’hôpital a transformé les usages au point que cet isolement est radicalement mis en cause : dans le projet de rénovation, l’ouverture vers la ville est affichée comme une priorité. De la même manière, la modification du contexte urbain depuis 1860 a été telle que l’entrée par le sud apparaît aujourd’hui injustifiée : il est prévu de retourner l’hôpital vers le nord, en l’ouvrant sur l’arrière du côté du boulevard de la Chapelle. Le principe de l’ouverture sur la ville est certes généreux, mais… dangereux. Depuis les récents attentats, la surveillance des accès est redevenue une nécessité incontournable. Si l’hôpital est ouvert à tous les vents, comment contrôler ceux qui y entrent avec la ferme intention de faire sauter une bombe ?

Le projet pour l’hôpital Lariboisière

Cependant, dès la seconde moitié du XXe siècle, d’autres modifications importantes avaient déjà eu lieu : au jour le jour, les besoins techniques de l’hôpital avaient entrainé le remplissage des cours plantées, envahies par des constructions à simple rez-de-chaussée ; puis les jardins périphériques disparurent à leur tour, remplacés par des bâtiments à six ou sept étages. Exception faite des trois au quatre arbres subsistant côté est, l’environnement arboré qui faisait tout le charme de la composition n’est plus qu’un souvenir. Dernière altération, les grands volumes des salles communes installées à l’intérieur des pavillons ont cédé la place à des cloisonnements et entresolements multiples, entraînant des modifications radicales de la distribution (ne serait-ce que pour assurer l’isolement des circulations contre les risques d’incendie). Au total, il ne reste que l’enveloppe des gros murs qui soit intacte, ainsi que la chapelle – cette dernière dans un état d’abandon total alors qu’elle enferme le somptueux cénotaphe de la marquise de Lariboisière par Paul Marochetti, ainsi que les décors muraux du peintre Louis Matout célébrés en son temps par Théophile Gautier (« Peintures murales de M. Matout à la chapelle de l’hôpital Lariboisière », Gazette des beaux-arts, 15 avril 1861, p. 94-101). La modeste inscription dont l’hôpital bénéficie au titre des monuments historiques n’est manifestement pas à la hauteur de son importance dans l’histoire de l’art et de l’architecture.

Entrée de l’hôpital Lariboisière, boulevard de la Chapelle, vue du projet

Le projet de rénovation actuel s’inscrit dans la logique de saturation qui a prévalu jusqu’alors. Le terrain disponible de part et d’autre de la composition centrale a été affecté à deux projets, dont un seul est pour l’instant mis en évidence : il s’agit de construire à l’extrémité de la rue de Maubeuge deux bâtiments neufs encadrant le bâtiment-tour de sept étages sur lequel est située l’aire d’atterrissage des hélicoptères. Il faut aller sur internet pour découvrir que l’alignement symétrique, du côté de la rue Guy-Patin, est lui-même destiné à transformation. Deux barres de sept étages, faiblement décalées, en occupent déjà une partie. À l’angle du boulevard de la Chapelle reste une jolie construction en meulière caverneuse et brique de Hollande, datant probablement des années vingt. Sur cet emplacement est prévue une opération de logement qui financera le montant des travaux d’extension. La discussion semble avoir été difficile avec la Ville de Paris, qui a exigé comme à l’habitude une part de logements sociaux – mettant en cause l’équilibre financier du projet. Mais, de cela, on ne parle guère.

Bâtiment Morax de l’hôpital Lariboisière, vue du projet

L’opération qui débute fera disparaître un long pavillon à deux étages. D’une architecture assez ordinaire, en moellon enduit, il fait retour entre la rue Ambroise-Paré et la rue de Maubeuge vis-à-vis de l’extrémité de la gare du Nord. Le site est déjà encombré par un grand bâtiment souterrain, profond de cinq étages, qui accueille aujourd’hui les urgences. A l’angle des deux rues, le nouveau bâtiment dont le volume respecte les gabarits de l’ancien P.O.S. est emballé par une résille métallique des plus voyantes – dans l’esprit de ce qui se faisait à Berlin il y a vingt ans. Ce bijou prétentieux, dénommé bâtiment Morax, n’a pas sa place dans un environnement sensible – à la jonction entre deux monuments majeurs de l’architecture parisienne du XIXe siècle. Il aurait fallu, sur un tel emplacement, faire preuve de discrétion en se soumettant à l’ordonnancement général des voies et à la rigueur de leurs profils. La seconde partie du projet est nettement meilleure, au moins par son écriture serrée de meneaux en béton scandant verticalement les façades vitrées (la rigueur n’est pas sans évoquer celle de Patrick Berger pour les extensions de l’hôpital Cochin en 2005-2011). Moins heureuse est la solution de soubassement vitré, sur trois niveaux à l’alignement, alors que les autres étages s’en détachent volontairement. De même, la solution de la passerelle vitrée (au dessus de la rue intérieure créée à cette occasion) est-elle d’un bel effet architectural, mais l’on s’interroge sur son usage à venir. Enfin, on peut douter de la sincérité des dessins quand ils habillent les toitures-terrasses d’une improbable verdure, même si l’on a l’habitude de ce genre d’hypocrisie. Cette deuxième extension fera disparaître nombre de constructions basses d’âges divers, ainsi qu’un grand pavillon de belle apparence, tout en pierre de taille, remontant aux premières extensions de l’hôpital vers la fin du XIXe siècle.

Bâtiment Lariboisière de l’hôpital, vue du projet

Ce n’est pas tant le projet lui-même qui pose problème, même si son architecture est d’inégale valeur, que le principe d’une telle opération. L’APHP a déjà à son actif la destruction de l’hôpital Fernand-Widal, austère composition de Théodore Labrouste, le frère d’Henri. La destruction s’est faite par étapes successives, jusqu’à ce qu’il ne reste rien du bâtiment d’origine. On s’en ferait une raison si la rénovation de l’hôpital Lariboisière était de nature à compenser la perte. Ce n’est pas du tout le cas, car il s’agit d’une simple opération de bourrage de parcelle tirant le maximum de la constructibilité du site sans s’intéresser en aucune manière à son intérêt. Rares sont les espaces verts dans ce quartier devenu excessivement dense aux abords des deux gares. Rétablir l’environnement arboré de l’hôpital Lariboisière aurait été un grand projet – surtout associé, comme il en est question, à la construction d’un nouvel hôpital nord en dehors des limites de Paris, sur la commune de Saint-Ouen. A l’avantage dont auraient bénéficié les usagers de l’établissement comme les habitants du quartier, en mal d’espaces verts, se serait ajouté l’intérêt paysager de la mise en valeur des bâtiments par la restitution des cours et jardins dont il bénéficiait initialement. Le projet de Martin-Pierre Gauthier ne se concevait pas sans cette couronne de verdure digne des plus beaux palais. Pour sa remise en valeur il serait temps que soient engagées des opérations de curetage, comme celles auxquelles se consacrèrent les architectes des bâtiments de France lorsqu’ils conçurent les premiers plans de sauvegarde des quartiers historiques dans le cadre de la loi Malraux. Ce n’est pas un rêve, mais une nécessité, en matière de respect du patrimoine.

François Loyer

Lire aussi l’article du Parisien :
https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-75010/paris-voici-le-nouveau-lariboisiere-version-2024-23-03-2017-6790341.php