Après huit longues années de travaux, le Jardin Nelson Mandela (anciennement dénommé Jardin des Halles) est sur le point d’être rendu accessible dans sa quasi totalité à ses usagers. Il est maintenant temps de tirer le bilan de son réaménagement. Représentée dès l’origine du projet (2003 !) dans les instances de concertation puis de suivi, l’Association Accomplir est probablement l’une des mieux placées pour porter un regard documenté et avisé sur le résultat de ce projet. C’est ce bilan illustré que nous vous proposons pour ce numéro spécial de la Lettre d’Accomplir.

Article de l’Association Accomplir. Lire cet article sur le site de l’Association Accomplir (lien).

Un jardin qui aurait pu disparaître !

Notre premier et principal motif de satisfaction, c’est qu’un espace public, avec de la verdure, ait été maintenu aux Halles. En effet, dans le projet qui avait la préférence de la Mairie de Paris en 2004, celui de Koolhaas, 21 tours de verre de 25 à 37 mètres de haut ainsi qu’un grand « canyon » devaient prendre place dans le jardin, réduit à quelques plates-bandes entre les allées desservant ces tours… À l’époque, nous avons constitué un collectif d’une trentaine d’associations avec un seul mot d’ordre « Le jardin des Halles n’est pas un terrain constructible ». Aujourd’hui, même si l’aménagement du jardin fait ressortir divers problèmes qui, pour la plupart, auraient pu être évités, nous sommes heureux d’avoir réussi à préserver un espace de respiration, de verdure et de calme dans ce quartier extrêmement dense et animé.

Un défi : accueillir des foules de visiteurs

La contrepartie du besoin d’espace vert très fort auquel répond ce jardin, c’est qu’il est extrêmement sollicité, aujourd’hui comme hier, ce qui met les zones végétalisées à rude épreuve. La solution retenue dans l’ancien jardin consistait à multiplier les allées pour éviter le piétinement des pelouses et à protéger les plates-bandes par des petits grillages afin d’éviter qu’elles soient malmenées. Certaines pelouses étaient également encloses et réservées aux jeux d’enfants. L’architecte du nouveau jardin a préféré réduire le nombre des allées et supprimer toutes les plates-bandes encloses afin de rendre le jardin « entièrement accessible », ce qui revenait à ignorer le problème de la sur-fréquentation du jardin et ses conséquences.

D’une promesse champêtre à une banale pelouse

Sur le papier, on nous promettait « un jardin plus écologique », « un espace ouvert, une prairie », « une clairière au cœur de Paris » et « des circulations facilitées ». Les premiers visuels étaient effectivement prometteurs : une pelouse qui descendait jusque sous la canopée, de grands espaces d’herbes et de fleurs champêtres multicolores dans lesquels gambader et se prélasser, ouverts toute l’année. Forts de la volonté affichée de rendre tout le jardin « accessible », nos apprentis jardiniers ont supprimé les parterres de fleurs accusés d’être « inaccessibles ». Ils ont toutefois été obligés de protéger par des « grillettes » en tôle les grandes graminées et fleurs champêtres dont ils avaient parsemé leur prairie. De piètre qualité, ces « grillettes » ont vite rouillé après avoir gondolé tout un été, pour finalement disparaître… Et les fleurs champêtres ont laissé place à une banale pelouse verte uniforme. Celle-ci était censée rester ouverte toute l’année, mais ce ne sera possible que lorsqu’une herbe magique, résistante aux saisons et à un usage intensif par les passants, aura été inventée. D’ici là, nous aurons des « pelouses au repos » du mois d’octobre au mois d’avril, malgré les dénégations de nos interlocuteurs, et un mélange de terre, de boue et d’herbe agonisante dès la mi-juillet.

Les encombrantes émergences du sous-sol

Les concepteurs du jardin ont également négligé un détail pourtant très important. D’innombrables émergences du sous-sol parsèment le jardin : bouches d’aération, verrières, sorties de secours des commerces et équipements souterrains, ascenseurs, etc. Autrefois dissimulées par des pergolas couvertes de verdure ou élégamment intégrés au paysage, comme les délicates pyramides qui éclairaient la piscine, ces émergences prennent désormais la forme de vulgaires grilles métalliques ou de soupiraux géants qui viennent trouer la pelouse. En raison de problèmes d’étanchéité et de sécurité, les grandes verrières plates censées être dissimulées par les hautes herbes ont dû être inclinées et protégées par des structures complexes faites de grillage, de béton et de barrières. Résultat : on ne voit plus que cela, et ce n’est pas franchement décoratif… D’autant qu’une partie de ces émergences ont été habillées de béton : sans doute l’architecte ignorait-il que c’est un support idéal pour l’expression graphique de nos jeunes concitoyens ? Résultat, des graffitis plus ou moins heureux viennent désormais compléter son œuvre… Et la ville ne donne pas vraiment l’impression de s’empresser à nettoyer les nouveaux aménagements.

Un faux plat

Dans sa volonté de rendre le jardin plus accessible, l’architecte a décidé de le rendre entièrement plat. Or il existe un dénivelé inévitable entre la dalle de béton qui couvre le centre commercial construit dans les années 80 et l’entrée de l’église qui date de 1532, époque où le sol de la ville était beaucoup plus bas. C’est pour cette raison que l’aménageur précédent avait donné une forme de « coquille » à l’accès de la Porte du Jour et de la place René Cassin, ce qui permettait de conjuguer en douceur ces niveaux différents. Le nouvel architecte du jardin ayant nié cette réalité, il faut désormais monter une dizaine de marches pour se rendre sur le jardin depuis la rue Rambuteau, pourtant rue majeure du quartier. Conséquence paradoxale d’une volonté d’accessibilité un peu trop dogmatique, les seuls accès possibles pour les personnes à mobilité réduite se trouvent désormais au niveau de la rue Coquillère à l’ouest, et de la rue Montorgueil à l’est. Rien au milieu, pourtant point focal de la fameuse « clairière ». La « coquille » de la place René Cassin a été comblée pour en faire un escalier montant en « pas de mule », entouré de gradins suffisamment inconfortables pour faire fuir cet endroit qui auparavant constituait une sorte d’auditorium naturel, convivial et baigné de lumière dans l’axe de la porte de l’église Saint Eustache. De même, lorsque l’on souhaite accéder au Forum depuis la rue du Jour, il faut désormais monter avant de redescendre, alors qu’antérieurement l’accès se faisait de plain-pied et en pente douce.


Une erreur d’orientation

L’architecte paysagiste voulait imposer « de nouvelles trajectoires piétonnes » avec une grande et large allée centrale est-ouest, doublée de deux allées plus étroites sur les côtés. Avec les rues Berger et Rambuteau, cela faisait cinq voies de circulation est-ouest ! Comme l’architecte de la Canopée, il était convaincu que désormais, l’entrée principale du Forum des Halles se ferait côté jardin, d’où l’escalier monumental de la Canopée, son énorme parvis bétonné et la grande allée. Chacun peut constater aujourd’hui que c’est encore et toujours du côté Lescot que les visiteurs entrent principalement dans le Forum. La grande allée centrale va donc de l’arrière de la Canopée à l’arrière de la Bourse de Commerce, qui va devenir le musée de la Collection Pinault mais conservera son entrée principale côté rue du Louvre. Elle est clairement boudée par les piétons et on ne peut que regretter cette vaste étendue inutilement bétonnée au détriment de la végétation. L’architecte a tout simplement fait une erreur d’orientation !
Dès les premiers plans, nous avions fait valoir que les piétons circulaient essentiellement dans le sens nord-sud, pour rejoindre les bureaux et les commerces du 2ème arrondissement ou encore la rue de Rivoli. Nous nous sommes particulièrement battus en faveur du maintien de l’axe naturel de circulation qui relie la rue des Prouvaires à Saint Eustache, un lien ininterrompu depuis le XIIIème siècle entre la Seine et l’église, à la fois perspective remarquable et cheminement logique pour tous, visiteurs et habitants. Après de longues batailles, la raison a finalement gagné, puisque, à la suite d’une pétition organisée récemment par les commerçants, la Mairie de Paris a finalement annoncé le maintien de cette traversée nord-sud.

Le béton au détriment de la végétation

Dans son ancien aménagement, le jardin se prolongeait jusqu’à la place des Innocents, avec des pergolas couvertes de rosiers et de vigne vierge, et s’avançait même au milieu des pavillons Willerval, avec de grands massifs de rhododendrons entourant le « cratère » du Forum. Non seulement la Canopée prend beaucoup plus de place que les anciens bâtiments, mais son sol bétonné se poursuit sur l’immense parvis et la grande allée centrale, puis à nouveau sur le parvis disproportionné situé devant la Bourse de commerce. L’architecte avait promis un jardin beaucoup plus végétalisé mais, objectivement, c’est le béton qui a gagné ! Certes, les enfants tirent profit de ces surfaces bétonnées pour jouer au ballon ou à la trotinette, mais sans doute aurait-on pu trouver un meilleur compromis entre zones de jeux et espaces végétalisés.

Du mobilier et des matériaux pas vraiment pensés

Un de nos (rares) motifs de satisfaction dans le nouveau jardin est le grand nombre de bancs, de chaises et d’aménagements permettant de s’asseoir : nous avions fait valoir que c’était un des mérites de l’ancien jardin et demandé qu’il soit reconduit. En revanche, on peut regretter le matériau qui a été choisi, à nouveau du béton, qui se prête aux tags et doit être régulièrement repeint. Ces bancs attirent également les adeptes du skateboard et il a fallu y ajouter de petites protubérances en métal pour les décourager… et écorcher les fesses de ceux qui s’y assoient. Il faut désormais viser juste pour s’y reposer, mais aussi viser la bonne saison : leur forme a une fâcheuse tendance à retenir l’eau de pluie à la mauvaise saison et, lorsqu’il fait chaud, le matériau et la couleur les rendent rapidement brûlants. Une grande absente de ce jardin : l’eau. Certes, des miroirs d’eau avec brumisateurs ont été prévus sur le parvis de la Canopée. Mais pas de quoi nous consoler de la disparition des nombreux réseaux de fontaines qui agrémentaient et rafraîchissaient l’ancien jardin… D’autres équipements pourtant indispensables font également défaut : aucun attache-vélo n’existe dans le périmètre immédiat du jardin. Résultat, les cyclistes se rabattent sur ce qu’ils trouvent pour parquer leur monture : c’est ainsi que les rampes d’escaliers ont été détournées de leur usage, au détriment des personnes à mobilité réduite.

Bilan mitigé pour les enfants

Les premiers plans du nouveau jardin ne comportaient carrément aucune aire de jeux pour les enfants ! Nous avons dû nous battre pour obtenir que des espaces spécifiques leur soient accordés, de la même surface qu’avant, et qu’ils soient enclos car, au départ, l’architecte voulait les laisser ouverts… Ceux qui ont connu le jardin Lalanne, petit paradis conçu par une artiste de renom, auront beaucoup de mal à se consoler avec l’aire de jeux dédiée aux enfants de 7 à 11 ans et censée le remplacer.  Alors que le jardin Lalanne était un espace d’éveil et de liberté, le nouveau square est un lieu d’apprentissage de l’interdit : composé de matériaux et d’équipements jugés dangereux, il est parsemé d’avertissements et d’interdictions.
Quant aux grilles qui entourent ce jardin, censées assurer la sécurité des enfants, elles se sont révélées elles-mêmes dangereuses, ( outre le fait que des adultes les faisaient enjamber par des enfants en dehors des heures ) ! Il a fallu les doubler, voire les tripler avec des grillages additionnels. L’aire de jeux des tout-petits, ouverte récemment, semble  mieux conçue.mais est déjà saturée dés qu’il fait beau !

Les locaux plutôt encombrants des jardiniers

Dans l’ancien aménagement, les locaux des jardiniers avaient été installés en sous-sol et étaient desservis par une allée en forme de rampe qui conduisait à l’enclos fleuri des pyramidions, que l’on pouvait admirer depuis la passerelle qui le surmontait. Aujourd’hui, une large portion de la partie sud-ouest du jardin est occupée par ces locaux. Des clôtures en tôle découpée masquent imparfaitement le bric à brac de la direction des espaces verts, mais en revanche bouchent les perspectives et font obstacle à la circulation des piétons. Le remplacement des pergolas végétalisées par cette avalanche de métal est un comble, s’agissant des locaux du service des « espaces verts », et une contradiction de plus avec le projet initial.

La sécurité, pas vraiment anticipée

Des problèmes de sécurité ont également surgi : il a fallu composer avec le risque de véhicules pénétrant dans un jardin devenu beaucoup plus accessible que lorsqu’il était vallonné et parcouru de réseaux de fontaines. Une série de bacs à fleurs disparates a été déposée ça et là, sans réelle cohérence avec le style global, dans le seul but d’éviter les intrusions motorisées.

Levons les yeux…

Tant d’erreurs de conception laissent le sentiment d’un grand gâchis. Manifestement, l’architecte ne s’est guère préoccupé des usagers de son futur jardin. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de l’alerter sur les problèmes que poseraient son approche un peu trop dogmatique… Même les élus ont semblé impuissants à imposer ne serait-ce que le maintien de l’ancienne place Cassin. Cela dit, la densité du quartier et l’afflux des usagers de la gare font que, malgré sa médiocrité, le jardin Nelson Mandela est et restera probablement très fréquenté. Nous avons obtenu le maintien d’un espace vert aux Halles et c’est l’une de nos plus grandes victoires. Si la vue du béton omniprésent et l’absence de fleurs et de fontaines sont une grosse déception, il nous reste la possibilité de lever les yeux et d’admirer la façade nouvellement rénovée de Saint Eustache, dont la splendeur semble narguer les architectes modernes…