Grâce à l’amabilité de l’AJP (Association des Journalistes du Patrimoine) nous avons récemment visité la basilique-cathédrale de Saint-Denis, visite exceptionnelle commentée par Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques, en charge de la basilique depuis 6 ans (et auréolé du succès de la construction, à l’ancienne, du château-fort « médiéval » de Guédelon dans l’Yonne dont il a été le maître d’ouvrage). La basilique a beaucoup fait parler d’elle ces derniers temps, compte tenu du projet de « restitution » (reconstruction) de la tour nord et de sa flèche. L’histoire et la qualité de cette basilique aux portes de Paris ne peuvent pas nous laisser indifférents.

Fondée après le martyre de Saint-Denis et de ses compagnons, la basilique a été démolie et reconstruite plusieurs fois. La reconstruction la plus remarquable a été, à partir de 1137, celle de l’abbé Suger, inspiré par l’abbé Adam, son mentor, et par Bernard de Clairvaux. L’abbé Suger, qui avait une passion pour la lumière, transforma complètement la basilique carolingienne (façade, chœur…). La basilique devint alors le premier monument gothique. Au 16e siècle, la basilique fut remodelée par l’abbé Eudes Clément et son successeur Mathieu de Vendôme. Au 14e siècle, des chapelles furent ajoutées.

Depuis Dagobert, à la demande de Saint-Louis, les rois français étaient ensevelis dans l’église abbatiale de Saint-Denis. Au 16e siècle, les Huguenots et les Ligueurs pillèrent l’abbaye. Le pire arriva sous la Révolution : en 1793, par suite d’un décret de la Convention, les tombeaux royaux furent profanés. En 1795, Alexandre Lenoir réussit à faire transporter au musée des Petits Augustins de nombreux chefs-d’œuvre qui furent ainsi sauvés de la destruction. Sous la Restauration, à la disparition du musée des Petits Augustins, lesdits chefs-d’œuvre réintégrèrent la basilique de Saint-Denis.

Entre temps, un début de rénovation de la basilique fut entrepris sous la direction de l’architecte François Debret. Lorsque la basilique fut touchée par la foudre en 1837 puis par un ouragan en 1846, Viollet-Le-Duc, sous l’impulsion de Mérimée, s’opposa au projet de démontage-remontage de la tour nord et de sa flèche, comme le voulait Debret. Peu après, au décès de François Debret, Viollet-Le-Duc fit démonter la tour nord dont les pierres furent dispersées. La basilique de Saint-Denis est d’une longueur exceptionnelle (108 mètres) et d’une hauteur exceptionnelle aussi (29 mètres après rehaussement au 13e siècle). Les vitraux, à part ceux du temps de l’abbé Suger, sont plutôt modernes mais avec un bleu exceptionnel de Syrie et d’Afghanistan. La basilique est cathédrale depuis 1966. Les travaux récents, en cours et à venir sont les suivants :

  • Entre 2014 et 2016 : la façade occidentale a été rénovée (y compris l’horloge) pour retrouver son aspect « Debret ». Coût : 4,5 millions d’euros (Financement de l’Etat). Le pavement du 19e siècle a également été restauré et la rosace sud le sera cette année.
  • Tout récemment, c’est le chœur liturgique qui a été rénové, avec notamment la mise en place d’un autel et d’un ambon (porte-Livre) conçus par l’artiste-sculpteur franco-slovaque Vladimir Sbynovsky, le tout en pierre d’Arménie et en verre épais conçu par Corning et Saint-Gobain. Imaginez la lumière qui passe à travers la croix en verre épais du centre de l’autel et qui va se diffuser dans la crypte, juste en dessous : c’est plus qu’émouvant ! Une souscription couverte à près de 90 % pour l’instant, a permis le financement de ce mobilier liturgique (590 000 €).
  • Le chantier le plus important est à venir (à partir de 2019). C’est celui de la « restitution » de la tour nord et de sa flèche, projet évoqué depuis une trentaine d’années. La décision politique a été prise par le Président Hollande et elle vient d’être confirmée par la signature d’une convention-cadre entre l’Etat (propriétaire) l’Eglise (affectataire) le Centre des Monuments Nationaux (gestionnaire de la nécropole des rois de France et de la crypte) et la ville de Saint-Denis. La tour nord et la flèche seront reconstruites à l’identique (les plans avaient été conservés) mais avec de nouvelles pierres de calcaire de la région de Creil. Un renforcement de la tour sera peut-être nécessaire (coulis de maçonnerie).

Cet important chantier coûtera entre 20 et 30 millions d’euros, selon les aléas, financés au départ par emprunt mais dont le remboursement sera assuré par le mécénat et les visites du chantier. Ainsi, la durée du chantier pourrait varier de 12 à 20 ans ! La ville ne s’en émeut pas car elle souhaite une « restauration démonstrative » et pédagogique, permettant une animation bienvenue pour elle.

Il est intéressant cependant de noter que, comme d’autres, le Centre des Monuments Nationaux était plutôt opposé à ce chantier gigantesque de la reconstruction de la tour nord et de sa flèche, sous prétexte qu’il est en contradiction avec la Charte de Venise (1964). À cet égard, nous avons interrogé notre spécialiste en urbanisme, François Loyer, lequel nous a donné son avis que voici :

« Sur le plan de la déontologie de la restauration, les choses ont beaucoup évolué depuis vingt ans, l’intégrisme archéologique de la Charte de Venise étant aujourd’hui contesté au profit d’une vision plus globale de la cohérence architec- turale et urbaine des édifices dans leur contexte. À Saint-Denis, la restitution est d’autant plus justifiée que, lors du démontage, le relevé assise par assise a été effectué avec le plus grand soin (dans l’attente d’un remontage qui n’est jamais venu, pour des raisons plus politiques qu’architecturales). Il est donc tout à fait possible de reconstituer à l’identique, pierre à pierre, ce vaste puzzle – même si le matériau, mal conservé doit en être renouvelé. Mais la nouvelle flèche sera une copie absolument exacte de l’ancienne, sans risque d’interprétation abusive. Après tout, on fait bien la même chose pour les statues dans les jardins puisqu’on les remplace systématiquement par leur reproduction en mettant les originaux à l’abri. » Finalement, que ne ferait-on pas pour dynamiser une ville et une des plus belles cathédrales de France !

Régis de Savignac

D’autres informations sur le site www.amisdelabasiliquesaintdenis.org (lien)