Une offensive de grande ampleur a lieu en ce moment contre la protection du patrimoine, naturel et bâti, sur l’ensemble du territoire et a fortiori à Paris !

Le projet de loi «ELAN» (sur l’Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), déposé en avril 2018 à l’Assemblée Nationale, est en train d’être examiné. C’est une vaste opération de déréglementation tous azimuts, lancée afin de faciliter la construction partout sur le territoire.

Disparition du rôle des Architectes des Bâtiments de France (Article 15)

Dans plusieurs cas, l’avis de l’ABF concernant un projet de démolition ne sera plus que consultatif dans les secteurs sauve- gardés (devenus sites patrimoniaux remarquables – SPR – en 2016), alors qu’il est aujourd’hui contraignant. À titre d’exemple :

  • Lorsqu’un bâtiment aura fait l’objet d’un arrêté de péril ou d’un arrêté d’insalubrité ;
  • Lorsqu’une municipalité mènera avec l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH) une opération concernant des îlots entiers dans un SPR.

L’ABF est pourtant un expert, garant de la préservation d’im- meubles dont la valeur patrimoniale est reconnue à raison de leur âge, de la qualité de leurs éléments architecturaux, ou de leur intégration à un îlot ou un quartier. Ces immeubles font partie d’un ensemble qui s’est constitué petit-à-petit et donne une physionomie unique à chaque centre-ville. Par ailleurs, loin de censurer tous les projets de démolition/réhabilitation du bâti ancien, l’ABF n’en refuse qu’un nombre très faible. Restreindre la portée de l’avis de l’ABF ne répond donc à aucune nécessité. En revanche, il est clair que cela fait peser un risque sur le paysage urbain dans des secteurs qui ont été distingués en raison de la valeur de leur patrimoine.

Ensuite, on ne peut que s’étonner du postulat du projet de loi selon lequel le bâti ancien constituerait une entrave, un fardeau dont il faudrait « libérer » les édiles : la démolition du bâti ancien pour construire des immeubles modernes ne peut être la solution miracle aux problèmes économiques. Elle s’avère souvent décevante sur le plan architectural, sans être moins coûteuse que la rénovation. Malheureusement, les ABF sont considérés avec méfiance par ceux de nos édiles qui veulent densifier et reconstruire leurs centres-villes, oubliant que le patrimoine bâti, avec son histoire et sa diversité architecturale est un élément de fierté pour une ville, un atout touristique et une source importante de revenus et d’emplois, à l’heure où beaucoup de villes petites ou moyennes se désertifient.

Réduction des possibilités de contestation (Article 24)

Plusieurs mesures durcissent le parcours des requérants devant le juge administratif, ce qui aboutira à dissuader un peu plus les requérants potentiels et, lorsqu’un recours est introduit, à faciliter son rejet par le juge administratif.

Le but est de lutter contre «l’incertitude juridique» qui dissuaderait les investisseurs de lancer des projets immobiliers. Les riverains et associations multiplieraient en effet les recours « abusifs ». L’argument était le même en 2013, lors de l’ordonnance Duflot, qui avait durci les conditions d’introduction des recours (intérêt à agir restreint pour les particuliers, possibilité d’une action en dommages-intérêts contre le requérant). Depuis cette ordonnance, les recours aboutissent rarement, le juge administratif ayant parfaitement « intégré » l’esprit du texte. Aucune statistique ni aucune actualité concernant un projet en particulier ne vient donc justifier de limiter encore les possibilités de recours contre les permis de construire. Bien au contraire, les règles qui protègent le patrimoine bâti de notre pays justifieraient plutôt que les possibilités de recours soient assouplies, afin que les promoteurs et architectes soient incités à privilégier l’intégration de leurs projets dans le tissu urbain existant.

Détricotage par un amendement LREM de la loi littoral sanctuarisant le patrimoine naturel en bord de mer

L’amendement prévoyait de rendre constructibles des zones qui ne l’étaient pas, tels les hameaux, et d’autoriser la construction d’installations agricoles, d’éoliennes et de centrales photovoltaïques, alibi écologique qui voudrait faire oublier qu’il s’agit là de la reprise du mitage du territoire que la loi avait encadré fermement dans ces zones. Il a été fort heureusement retiré après la réaction virulente qu’il a entraînée.

Dangers de la proposition de loi sénatoriale concernant le pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs

La proposition de loi est explicite : elle vise, selon la même philosophie que le projet de loi ELAN, à «éviter un blocage de projets locaux essentiels à la survie du centre-ville, pour des raisons liées au patrimoine». L’avis conforme de l’ABF ne serait plus exigé dans les SPR et abords de Monuments Historiques situés dans les périmètres des «Opérations de Sauvegarde et de Redynamisation» (périmètres OSER). Sous couvert de «redynamisation» des petits centres-villes, des immeubles en bon état, situés dans des secteurs protégés, pourraient être démolis ou modifiés sans examen du dossier par l’ABF… Là aussi, la commission des Affaires culturelles du Sénat, non sans difficultés, a rétabli l’avis conforme contraignant des ABF. À suivre quand le texte arrivera à l’Assemblée Nationale. On ne peut qu’être consterné par ce retour en arrière et ce contre- sens, alors que le patrimoine historique est une chance et devrait au contraire être restauré et valorisé pour créer des périmètres touristiques culturellement riches et socialement vivants. Espérons que les députés et les sénateurs, quel que soit leur bord politique, n’abandonneront pas notre patrimoine commun à ceux qui ne raisonnent qu’à très, très court terme!

Isabelle Thomas-Le Doré

Dernière minute

La loi a été votée par le Parlement le 13 juin 2018 à l’exception de l’article 15 et attend son passage devant le Sénat.