Contribution à l’enquête publique
Remise en cause des APUI « Réinventer »
Les nouvelles procédures d’appels à projets « Réinventer » conduisent de fait à un aménagement au coup par coup laissé à la libre imagination des promoteurs. Comment pourraient-ils produire un aménagement réfléchi des territoires ? Le coefficient d’occupation des sols est systématiquement maximisé. Le cadre juridique particulièrement flou et l’opacité des critères de choix du jury paraissent susceptibles de toutes sortes de dérives et permet un phénomène de concentration des agences de promotion immobilière, d’architectes, au détriment d’équipes moins développées, risquant de mettre en danger à terme une profession déjà fort éprouvée…
Ces APUI lancés par la ville mettent en effet sur la place publique des sites pour lesquels une équipe constituée promoteur-architecte propose un usage, le choix se fait ensuite en dehors de critères réellement définis, dans une sorte de contournement de la commande publique laissant au privé la maîtrise totale du projet, dans une forme passe-droit, puisque l’achat du terrain se fait sans concurrence ni enchères et que les concours d’architectes sont court-circuités. Les architectes disparaissent du champ et se trouvent obligés de s’affilier à un promoteur-bâtisseur, porteur du projet.
Il ne faudrait pas que ce type de concours soit une forme détournée de favoritisme, en particulier pour la vente des terrains. La Compagnie de Phalsbourg qui porte le projet Mille Arbres est lauréat pour l’APUI Réinventer Paris de 3 sites et pour Réinventer La Métropole du Grand Paris de 6 sites. On voit là à l’œuvre une évidente concentration et captation du foncier au profit de quelques privilégiés, système que précisemment cherchaient à éviter les procédures de commande publique qui réduisait en outre le risque de standardisation des projets.
Plus grave, un certain nombre de terrains de Réinventer Paris ont été bradés parfois à moitié prix comme le révèle le débat avec Jean Louis Missika « Réinventer Paris : L’épreuve du chantier » du 20 septembre 2018 au Pavillon de l’Arsenal. Les finances de la ville sont donc menacées à terme.
Mais surtout cette formule échappe au processus de concertation avec la population qui ne peut exprimer l’adéquation du projet à ses besoins et attentes puisqu’elle n’intervient aucunement dans le choix des sites ni celui des lauréats sauf dans le cadre trop tardif de l’enquête publique où tout est déjà bouclé comme aujourd’hui pour ce projet.
Les éléments financiers n’apparaissent pas dans le dossier d’enquête, pas de prix de vente, d’acte notarié, pas de référence au coût de déplacement de canalisations que la ville prend à sa charge pour 1,54 millions d’€ HT, prise en charge fortement contestée au Conseil de Paris par Jérôme Gleize. En outre la création de ce foncier ex nihilo d’une nouvelle parcelle à bâtir sur le toit du périphérique ne semble pas avoir été monnayée. Plus curieux encore, avant même d’être construit, une partie du projet Mille Arbres était à vendre pour 170 millions d’euros : (https://www.challenges.fr/immobilier/les-bureaux-1000-arbres-a-paris-en-vente-avant-d-avoir-le-permis-de-construire_566172)
Greenwashing et réél impact environnemental : il est urgent de passer à une autre conception de l’urbanisme
Le complexe Mille Arbres relève d’une conception héritée du XXe siècle, en partie sur dalle, doté de jardins eux aussi sur dalle : l’IAU a montré combien la croissance des arbres y est limitée, il suffit de se rendre au Jardin Atlantique à Montparnasse ! Les projets Mille Arbres et Multistrates sont présentés comme rafraichissants, écologiques, voire purificateurs d’air alors que leur bilan écologique est problématique. Ces arbres nécessiteront des apports en eau majeurs, à grand coup de brumisation, alors que les périodes de canicules s’accumulent et que la diminution des débits d’eau des rivières et nappes est une tendance inquiétante. Cette nature en pot ou sur lit de terre n’a rien de comparable à des jardins de pleine terre, l’avis de la DEVE relève d’ailleurs que ces arbres sur dalle soumis aux vents auront une croissance délicate. Les études de l’APUR ont aussi démontré le problème de dessiccation des arbres en toitures : pour une hygrométrie de 75% en RDC, celle-ci peut tomber à 40% seulement en étage, l’équivalent d’une ambiance désertique. Nous interrogeons le coût de cette nature sur dalle face à la quasi-gratuité d’une nature en pleine terre, sa résilience et son auto entretien.
Appeler ce projet Mille Arbres ne suffit pas à lui donner une valeur écologique et ce n’est pas une Maison de la Biodiversité pour nos amis de la LPO qui limitera l’impact de l’énergie grise nécessaire à sa construction. Il n’est pas du tout certain que l’ilot de chaleur que va créer le bâtiment contrebalance le rafraichissement prétendu grâce aux jardins.
Pour les associations soucieuses de la planète, l’urgence écologique est de ne plus construire de bâtiments neufs mais avant toute chose d’utiliser le patrimoine existant, le réinventer pour le coup, l’entretenir, le réhabiliter avec des matériaux sains et durables, qui ne tombent pas en poussière au bout de 20 à 40 ans, comme la plupart des constructions actuelles (la pérénnité des tours de la Défense est au bas mot de 40 ans).
Ce projet Mille Arbres masque la contre-réalité d’un paquebot géant de béton et de verre (certes avec jardin… sur dalle). Cette forme de greenwashing est abondamment utilisée par la Compagnie de Phalsbourg : la conception « bioclimatique » d’un projet est un argument imparable pour les élus et jurys qui se laissent prendre à un discours plus que rôdé, voir Ecotone à Arcueil ou le projet Open Sky sur la côte d’Azur (celui-là battu en brèche par le maire de Cannes) ou même le très controversé Europa City. Le premier chapitre de la Notice environnementale du projet Mille Arbres est, à ce titre, un modèle de langue de bois où réinventer est tourné à toutes les sauces, même si de réels efforts de conception, de production et d’économie d’énergie sont tout de même à noter.
Par ailleurs proposer en couture avec la commune limitrophe Neuilly un obstacle géant de 100 m de long et de 10 étages de haut où la liaison est faite par une rue intérieure de type centre commercial ou par une dalle en surélévation interroge. Elle repose en réalité les mêmes questions que le jardin Atlantique, bien loin d’avoir rempli à l’usage ces mêmes promesses, d’écologie et d’accessibilité. En outre, le raccord Paris Banlieue réalisé par un immeuble plus haut que ceux de son environnement crée inévitablement une remise en cause de l’axe historique du Louvre à La Défense, il aurait fallu de petits éléments bas de paysage, un jardin, de petits immeubles plutôt qu’un monstre d’une seule pièce qui dépasse d’une tête celle de ses voisins.
Risques et impacts sanitaires, exposition à la pollution
Ce projet est présenté comme permettant de limiter les effets de vent, or en cet endroit de forte pollution, au contraire il ne s’agit surtout pas de supprimer le vent. Le couloir de vent naturel que constitue la tranchée du périphérique est un élément important de la ventilation de la ville : l’obstruer par un immeuble de 10 étages c’est renforcer la pollution du lieu et des espaces avoisinants.
D’ailleurs, les avis des autorités environnementales et de santé mettent en évidence le problème de qualité de l’air dû à la situation du bâtiment par rapport aux flux routiers, à la gare routière : les tableaux de données arrivent en limite et au-delà des seuils admis. Des risques certains de dépassement sont évoqués, mettant en question le choix de localisation des équipements petite enfance, sans s’y opposer néanmoins. Cette position laxiste est tout à fait regrettable, alors que 48.000 personnes meurent chaque année en France précocement des effets de la pollution, de l’incurie de l’Etat et des municipalités.
Il est évoqué aussi une concentration problématique des fumées d’échappements en entrée et sortie de passages souterrains : avec une légèreté remarquable, aucun traitement de cette pollution n’est prévu. Nous soulevons une fois de plus l’erreur de conception majeure qui consiste à créer un lieu de vie, d’équipements pour la petite enfance et une aire de jeux d’enfants de plein air, dans un contexte pollué, l’erreur a été pourtant répétée maintes fois avec les espaces sportifs et stades contigus au périphérique, les leçons ne sont donc jamais tirées ? L’étude de Greenpeace est édifiante : (http://www.leparisien.fr/societe/dans-les-stades-urbains-le-sport-ce-n-est-pas-la-sante-10-06-2018-7764453.php)
Un vœu du Conseil de Paris demande qu’une étude de circulation complète l’étude d’impact qui minimise les questions de circulation avec la superposition des projets dans un même calendrier porte Maillot. Où est-elle ? Ce manque est inquiétant.
Il est évident que concentrer Porte Maillot les projets Multistrates et Mille Arbres va créer un surcroît de congestion et de concentration de flux bien loin de régler les épineuses questions de circulation, sans parler de la période chantier particulièrement préoccupante d’après les documents.
Une fois encore, la ville autorise la création d’un point de congestion plutôt que d’anticiper les transports, les équipements culturels, sportifs, éducatifs indispensables à l’existant et nécessaires à un développement qui devrait venir ultérieurement et non le précéder.
Christine Nedelec