Inauguré en avril 2018, le Tribunal de Grande Instance (TGI), une tour de 38 étages conçue par Renzo Piano, est devenu – malgré lui – un symbole de la justice politique pour les opposants à la construction de gratte-ciel dans ce secteur endormi du nord-ouest de Paris : la première «célébrité» à avoir fait l’objet d’une enquête sur place est l’ancien Premier ministre qui avait approuvé le projet. Pour les habitants du quartier, la tour TGI présente un intérêt moins immédiat que le quartier qui l’entoure. Sur cette ancienne friche ferroviaire, d’une surface de près de la moitié du 2e arrondissement, les promoteurs construisent 3 400 appartements et 140 000 000 m2 de bureaux à partir de zéro. Ce tout nouveau quartier, une fois terminé, pourra accueillir 20 000 personnes qui vivront et/ou travailleront ici. Le projet est ambitieux : chauffage géothermique, panneaux solaires et poubelles pneumatiques qui acheminent les déchets vers un centre de recyclage via des tunnels souterrains, avec quelques ratés dans ce dernier cas, car les corbeilles actuelles ne peuvent rien ingérer de plus gros qu’une boîte à chaussures. Mais toutes ces personnes quand elles ne travaillent pas, ne dorment pas, ne se promènent pas dans le parc Martin Luther King, nouvellement créé, ou « aident la police dans leurs enquêtes » au TGI, que feront- elles après avoir réduits leurs cartons IKEA en segments de la taille d’un confetti pour s’en débarrasser ?

La vie dans la rue est un élément essentiel de la vie urbaine trépidante de Paris et le nouveau quartier n’a pas été pensé pour cela. Il y a bien quelques nouvelles rues, mais au niveau de la rue, au lieu de commerces, la plupart des nouvelles résidences et immeubles de bureaux se résument à des halls d’entrée. Un mini-centre commercial est en cours d’installation, seulement accessible par une esplanade aérienne. À part quelques écoles et garderies dans les rues nouvellement baptisées, les installations ouvertes au public au niveau de la rue restent trop rares.

Alors que les quartiers parisiens « classiques » comme celui des Batignolles, disposent de cinq boulangeries, cinq salons de coiffure et cinq pharmacies dans un rayon de trois pâtés de maisons, il est difficile d’imaginer comment les parisiens, BCBG, surmédicalisés et accrocs à leurs baguettes survivront en terrain aussi hostile! Même si leurs besoins en divertissement seront assouvis (les théâtres Odéon, Comédie Française et cinéma multiplexe auront des antennes), leur manquera le mélange urbain habituel de bistrots, bars à vin, à sushis et pizzerias avant et après leur spectacle. Les appartements penthouse de la tour Unic culminant à 50 m, seront les premiers du secteur atteignant un prix du m2 défiant toute concurrence ! Les camionnettes attendant la clientèle du soir le long d’une des avenues menant au TGI perdureront-elles une fois les travaux terminés ? Certes, la nouvelle population du quartier sera extrêmement diversifiée sur le plan économique : des résidences pour étudiants et jeunes travailleurs à 300 € par mois cohabiteront avec des penthouses à 30 000 € le mètre carré. Ensemble, ces pionniers pourront-ils créer de cette Brave New Batignolles un quartier animé et dynamique ? Malheureusement, il leur manquera des cafés pour en discuter…

Corinne LaBalme