Louis Goupy, qui vient de demander cette année à être déchargé de sa responsabilité de Vice-Président, a joué pendant trente ans un rôle déterminant dans les orientations, le développement et les succès remportés au fil des années par notre association. Appelé en 1986 à rejoindre SOS Paris par Philippe Denis qui venait d’en prendre la Présidence, il a mis au service de la défense de Paris d’exceptionnelles compétences, une combativité qui ne s’est jamais démentie, faisant de cette cause, selon ses propres paroles, « une ardente obligation ».

Après une longue mission à Bruxelles dans les arcanes du Marché Commun, Louis Goupy, dans les années 1980, retrouvait sa ville, ce Paris dont il n’avait jamais cessé depuis l’adolescence d’approfondir l’histoire. Puisant dans d’innombrables mémoires, récits, traités savants mais aussi, piéton infatigable, parcourant, l’esprit toujours en éveil, le lacis des rues, pénétrant dans les cours, s’enchantant de découvrir au cours de ses flâneries des jardins secrets, des chapelles oubliées, il avait acquis, servi par une mémoire exceptionnelle, une connaissance de Paris dont l’érudition n’avait rien à envier à celles des meilleurs spécialistes et dont le ressort secret était un attachement quasi amoureux.

Cachant en effet sa vive sensibilité sous des dehors caustiques, des propos volontiers ironiques, une brusquerie parfois déconcertante, Louis Goupy entretenait avec sa ville et son histoire une relation passionnée. Il ne pouvait assister sans colère et indignation à la priorité donnée par les pouvoirs publics à la grande révolution urbaine dont l’ère pompidolienne avait marqué le début.

Absent de Paris dans les années au cours desquelles cette évolution s’était peu à peu imposée, il n’en voyait que plus clairement les conséquences, ce n’était à ses yeux rien de moins, à terme, qu’un démantèlement du Paris hérité des siècles passés, de son harmonie, de ses équilibres, puisque le nouveau mot d’ordre était de dégager toujours plus d’espaces au dépens du bâti traditionnel, de rogner sur les chaussées, de sacrifier les espaces verts, une grande partie des parcs, de raser des quartiers entiers. Le but était de faire place nette pour loger les grands équipements de prestige, les autoroutes urbaines, les parkings et d’imposer enfin aux Parisiens la construction de tours, cet édifice fétiche dont rêvaient les tenants de la ville future, symbolisant l’entrée de Paris dans la modernité.

Pour Louis Goupy, «l’ardente obligation» était de s’opposer à ces nouvelles orientations et résistant à cette course au modernisme, de protéger la diversité du Paris traditionnel, l’intégrité de ses édifices prestigieux en priorité, mais aussi de conserver le charme de ses « cent villages », ce charme qui faisait dire aux étrangers que « Paris est une fête » et donnait à chaque quartier son caractère : les cités d’artistes, les marchés, les écluses, les ateliers d’artisans, les modestes places plantées, les brasseries centenaires, lieux de respiration et de plaisir que menaçait l’avidité des constructeurs en quête de toujours plus d’espaces à rentabiliser.

Pour mener ce combat, le grand mérite de Louis Goupy fut de définir clairement la stratégie qui donnerait un cadre aux missions de l’association. «L’urgente priorité» était d’abord d’exiger des pouvoirs publics la mise en œuvre effective des mesures de protection existantes. Son grand talent fut de communiquer à l’équipe de SOS Paris le feu sacré, la combativité qui l’animaient.

Les délégués d’arrondissement dont le réseau fut renforcé eurent pour mission de surveiller dans chaque quartier les demandes des permis de démolir et de construire soumis à l’administration et d’en étudier l’impact sur l’environnement. Interpellant les élus, relançant les Architectes des Bâtiments de France, répondant aux enquêtes d’utilité publique, participant activement aux réunions de concertation instaurées dans les mairies, recourant s’il le fallait à des actions en justice, SOS Paris sous son impulsion, au prix de luttes souvent houleuses et malgré bien des batailles perdues, obtint gain de cause sur de nombreux dossiers.

Dans son article consacré à la Présidence de Philippe Denis, paru dans le dernier bulletin de l’association, Louis Goupy a donné le détail des résultats obtenus. Grâce à l’intense mobilisation de SOS Paris et à la vigilance des nombreuses associations parisiennes, un coup d’arrêt put être porté à la nouvelle politique d’urbanisation qui menaçait l’environnement familier des Parisiens : maintien d’espaces verts menacés, suppression de projets de parking, limitation du nombre de ZAC et de leur hauteur. Des avancées en matière d’urbanisme furent obtenues : recensement des espaces verts et des jardins à protéger, mise en place de nouveaux périmètres de protection. Sur le plan patrimonial, de précieux témoins du Paris historique furent sauvés de la démolition, d’autres, menacés de mutilation, d’extension, ou de surélévation, conservèrent leur harmonie d’origine.

Au nombre des batailles gagnées, deux des plus spectaculaires ont été dues à l’intervention personnelle de Louis Goupy, à l’âpreté de ses affrontements avec l’administration et le promoteur. Ce sont : rue du Sentier, le sauvetage d’un bel hôtel du XVIIIe siècle, l’Hôtel Masson du Meslay, laissé à l’abandon par la municipalité pour justifier sa démolition; L’abandon par Paribas d’un vaste projet de reconstruction de son siège social rue d’Antin. Durant ces années d’intense activité, la personnalité de Louis Goupy, union singulière d’une âme passionnée et d’une froide lucidité, structura l’association, lui donne une vision cohérente des actions à accomplir et lui insuffla la rigueur nécessaire pour les mettre en œuvre. Il fut l’âme de la résistance, il en fut aussi le stratège avisé.

Louis Goupy qui fut pendant tant d’années, aux côtés de Présidents successifs de SOS Paris, l’inspiration et le maître d’œuvre de SOS Paris, refusa pourtant toujours d’en assurer la présidence. Son goût de l’indépendance, son humeur vagabonde, la multiplicité de ses intérêts, le temps qu’il entendait réserver à son talent de pianiste, à ses flâneries de collectionneur lui paraissaient incompatibles avec les tâches trop absorbantes d’un Président. Il préféra, au sein de SOS Paris, se réserver le rôle d’une Eminence Grise dont les avis, toujours pertinents, souvent incommodes, parfois âprement discutés, emportaient en définitive l’adhésion de l’équipe, traçant les grandes lignes d’une feuille de route qui est toujours celle de l’association.

Marthe de Rohan-Chabot