Les faits

Le 15 avril 2019, un très grave incendie a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris dont la charpente médiévale a été détruite, dont la flèche néo-gothique du 19e siècle est tombée et dont les voutes de la croisée se sont partiellement effondrées. L’ampleur du sinistre a contraint à l’évacuation de plusieurs immeubles voisins. Fort heureusement, les pièces maîtresses du Trésor de Notre-Dame ont pu être évacuées ainsi que des œuvres d’art inestimables. Certaines œuvres qui n’avaient pu être déménagées, ne semblent pas avoir trop souffert de la fumée et de l’eau projetée par les pompiers qui n’ont pas démérité. On peut penser que la structure de Notre-Dame a souffert mais elle semble avoir bien résisté malgré tout et peut-être est-ce dû au fait qu’elle avait été très bien restaurée sous l’impulsion de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, au milieu du 19e siècle. Ainsi, Notre-Dame de Paris qui a traversé plus de 800 ans d’histoire et qui a été menacée sous la Révolution française et sous la Commune, aura finalement été victime de ce que nous ne pouvons pas encore nommer car une enquête judiciaire est en cours : fatalité, imprudences, négligences ?

Les réactions

La cathédrale Notre-Dame de Paris, haut lieu de la chrétienté (après Saint-Pierre de Rome) inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, a été le témoin de nombreux évènements historiques depuis plusieurs centaines d’années. Viollet-le-Duc lui-même avait écrit : « Si les piliers de Notre-Dame de Paris avaient une voix, ils raconteraient toute notre histoire, depuis le règne de Philippe Auguste jusqu’à nos jours ». De la même façon, un chroniqueur a récemment dit : «Quelque chose de la grandeur de la France est parti en fumée ». Il est donc compréhensible que le monde entier se soit ému à propos de la destruction partielle du monument le plus visité de Paris et qui a été célébré notamment au 19e siècle par les plus grands écrivains et poètes. Dès le 15 avril, les plus grandes personnalités ont manifesté leur émotion et les plus grandes plumes du monde des lettres et de grands éditorialistes ont commenté l’évènement, tandis que les défenseurs du patrimoine, dont nous faisons partie, se sont posé des questions sur l’origine de ce drame et sur les précautions qui auraient pu être prises pour l’éviter, notamment dans le cadre des travaux de restauration partiels de l’édifice qui avaient été récemment lancés. Par ailleurs, notre confrère de « La Tribune de l’Art », Didier Rykner, a signalé qu’en 2016 une étude du CNRS avait révélé que la protection de la toiture de Notre-Dame était insuffisante. En tout état de cause, il y a quand même quelque part un paradoxe : au siècle où les techniques sont de plus en plus sophistiquées sur les chantiers, on s’aperçoit que cela peut être malheureusement une source de fragilité.

Les perspectives et les recommandations

Très vite, des mesures assurant la sécurisation de l’édifice ont été prises : toit artificiel, mesures de consolidation de la cathédrale. En effet, l’eau et la chaleur étant des ennemis de la pierre, l’édifice peut avoir souffert plus qu’on ne le pense. Il est rassurant, en revanche, de savoir que les immeubles voisins qui avaient été évacués, sont à nouveau occupés. Selon toute vraisemblance, il faudra plusieurs mois pour établir un diagnostic exhaustif des dégâts causés à la structure subsistante et pour analyser les débris parsemés ici et là. Bien entendu, l’avis des experts sur l’état de la structure sera déterminant pour avoir une meilleure idée des orientations à prendre pour la restauration de l’édifice. Rien n’empêche, cependant, de commencer à réfléchir à la restauration de la cathédrale. A cet égard, il ne nous apparaît pas qu’une structure dédiée soit vraiment utile, alors que peuvent être mis à contribution le Centre des monuments nationaux et les architectes en chef des Monuments historiques qui sont d’une grande compétence. De même, une loi d’exception pour s’affranchir de certaines contraintes -code des marchés publics, lois patrimoniales…- peut être absurde et dangereuse : 1 170 personnalités du « monde patrimonial international » (dont SOS PARIS) l’ont souligné tout récemment dans une lettre ouverte à notre président de la République. Des sondages récents montrent, par ailleurs, qu’environ 70% des Français sont opposés à une loi d’exception, tout comme une majorité de Sénateurs qui se sont opposés notamment à l’article 9 du projet de loi qui leur a été présenté. Le rapporteur de la Loi au Sénat a même dit : « Oui, le chantier de Notre-Dame est un chantier exceptionnel. C’est la raison pour laquelle il doit être exemplaire ». De fait, et de façon simple, pourquoi faudrait-il déroger à des règles qui ont permis un haut niveau de protection du patrimoine ? L’important, c’est de restaurer la cathédrale dans le respect de son architecture et de son histoire. Comme l’ont dit certains : « Il faut rétablir le bâtiment dans son authenticité ».

À cet égard, nous savons que le débat portera sur deux points essentiels :

  • la charpente (la « forêt » que seuls des privilégiés connaissaient vraiment) : faut-il la refaire en sacrifiant 1 300 chênes français ? La filière du bois y semble résolue et a fait des propositions précises, en indiquant notamment que les stocks sont suffisants. Ou alors, faut-il refaire la charpente en planches de béton comme à la cathédrale de Reims, il y a près de 100 ans, ou en fer et en fonte, comme à la cathédrale de Chartres ou à la basilique de Saint-Denis ? La refaire en chêne parait raisonnable et symbolique et ferait travailler des artisans.
  • la flèche : quand Viollet-le-Duc a rétabli une flèche au milieu du 19e siècle, il n’a pas pu se baser sur les plans de la très ancienne flèche détruite et dont les plans avaient disparu. Il a alors imaginé une flèche néo-gothique de toute splendeur : il semblerait plus simple, plus rapide et plus économique de refaire une flèche à l’identique car une flèche éventuellement plus moderne contribuerait à égratigner la charte de Venise (dont la France est signataire) qui veut que l’on restaure « selon le dernier état complet, cohérent et connu » comme l’a rappelé Maryvonne de Saint-Pulgent, ancienne directrice du patrimoine au Ministère de la Culture.

En tout état de cause, après avoir tranché dans cette sorte de querelle des anciens et des modernes, il semblera judicieux que les travaux se fassent sans hâte, pour éviter une nouvelle catastrophe qui serait à coup sûr impardonnable ! La restauration doit être maîtrisée, dans le respect de l’architecture et de l’histoire de la cathédrale, comme déjà indiqué. A cet égard, il est significatif de constater que plus d’un Français sur deux souhaite une restauration à l’identique. L’Unesco elle-même pourrait avoir son mot à dire, compte tenu du classement du site. Il est également intéressant de noter que Philippe Villeneuve lui-même, architecte de la cathédrale, plaide pour une restauration à l’identique, tant pour la charpente que pour la flèche. Ainsi, nous pensons que dans 5 ans la cathédrale Notre-Dame de Paris sera probablement « présentable » si c’est un souci de satisfaire les spectateurs des Jeux Olympiques de Paris en 2024, lesquels viendront du monde entier. Mais il ne parait pas réaliste pour autant de penser que les travaux seront terminés à cette date. Est-il par exemple urgent de reconstruire rapidement la flèche quand nous savons que la cathédrale en a déjà été privée pendant environ 70 ans entre la Révolution et sa reconstruction sous l’égide de Viollet-le-Duc ?

Enfin, pendant la durée des travaux, il pourrait être intéressant, comme l’a proposé un confrère, d’en profiter pour exposer pendant quelques mois, les dizaines d’œuvres d’art sorties de la cathédrale que, pour une fois, nous pourrions admirer dans les meilleures conditions possibles.

Conclusion

Notre président de la République a dit : « Nous rebâtirons Notre-Dame ». Nous savons qu’il s’agira plutôt d’une restauration et que le chantier sera long si l’on veut respecter les meilleures conditions de sécurité. Un point semble certain : le financement ne devrait pas poser de problème car de grands mécènes français ont promis leur soutien et, de plus, une souscription internationale viendra compléter les besoins financiers. En revanche, si d’aventure, trop d’argent était récolté, il serait logique que le surplus soit affecté par l’Etat, aux travaux de restauration d’autres cathédrales, propriétés de l’Etat. Quant à la mairie de Paris, il nous semble que sa priorité devrait être de s’intéresser de façon précise aux restaurations nécessaires et urgentes de plusieurs dizaines de lieux de culte parisiens qui sont sa propriété depuis la séparation des Eglises et de l’Etat (il y a un peu plus de cent ans). Il nous paraît utile de rappeler que depuis plusieurs années, l’association SOS Paris attire l’attention de la mairie de Paris sur les budgets insuffisants qui sont les siens pour sécuriser et rénover lesdits lieux de culte. Nous pensons qu’un budget de 80 millions d’euros pour 6 ans de mandature est très insuffisant quand tout tend à montrer qu’il faudrait trois fois plus, soit près de 250 millions d’euros pour 6 ans, pour notamment rattraper le temps perdu. Or, chacun sait que plus on attend, plus les chantiers coûtent cher, sans compter les risques de sinistres entre temps ! Nous osons espérer que le drame de Notre-Dame de Paris sera l’occasion d’une prise de conscience parisienne et même nationale, de l’importance d’entretenir le patrimoine.

Régis de Savignac