L’histoire en bref de la gare 

– 1846 : ouverture de la gare
– 1861-1864 : construction et embellissement de la nouvelle gare par Jacques-Ignace Hittorff
– 1975 : elle est inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques
– 1977-1983 : desserte du RER
– 1993-1994 : arrivée de l’Eurostar
– 2001 : construction de la gare d’échanges par l’architecte-ingénieur Jean-Marie Duthilleul, reprenant le vocabulaire d’Hittorff.

La gare du Nord, actuellement.

Les constats et le projet

La gare conçue pour 500 000 personnes par jour accueille aujourd’hui 700 000 voyageurs, dont 500 000 pour le trafic banlieue. Ils seront sans doute 800 000 pendant les J.O. Les dimensions et le fonctionnement de la gare actuelle ne peuvent supporter cette augmentation de trafic.

Le projet d’extension prévoit la création de 45 000 m2 supplémentaires, dont 20 000 m2 en commerces, 18 000 m2 en services et plus de 10 000 m2 en « parc urbain » avec en plus une piste de « trail » de 1 kilomètre de long. Un nouveau bâtiment sera construit côté est de la gare historique, remplaçant la lumineuse et aisée grande halle conçue par Jean-Marie Duthilleul.

La gare du nord, actuellement.

L’architecture somptueuse d’Hittorff sera encombrée et sa façade nord barrée par une passerelle couverte. Les voyageurs des grandes lignes devront monter à 6 m de hauteur vers le hall des départs occupé par de très nombreux commerces, avant de redescendre sur les quais. Les trajets seront plus compliqués et plus longs.

Vue du projet pour la gare du Nord © Valode et Pistre

Et quels seront les impacts de cet afflux de nouvelles surfaces commerciales sur l’offre existante aux Halles, dans le voisinage immédiat de la gare et a fortiori sur le Millénaire à Aubervilliers ou Aéroville à Roissy ?

Vue du projet pour la gare du Nord © Valode et Pistre

Le coût et le montage

Le projet à 600 millions d’euros est porté par la SNCF Gares & Connexions et Ceetrus (filiale d’Auchan et aussi promoteur d’Europacity) qui prend en charge les frais en échange d’une concession des commerces pour 46 ans. Stationord, société mixte à objet unique entre Ceetrus (à hauteur de 66 %) et SNCF (à 34 %), est en charge de la restructuration de la gare.

Vue du projet pour la gare du Nord © Valode et Pistre

La chronologie du projet

2017 : Paris est lauréate pour organiser les Jeux Olympiques de 2024. La loi sur l’aménagement de Paris et de sa métropole bénéficie d’un article permettant la transformation à grande vitesse de la gare du Nord, priorité liée à l’extension de la ligne E du RER, le développement du Grand Paris Express, la croissance du trafic Eurostar et Ouigo, due notamment au transfert du trafic aérien vers le train et l’implantation des installations olympiques.

10 juillet 2018 : Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme, fait voter au conseil de Paris l’avis favorable à la rénovation de la gare (avec trois réserves : traiter les aspects environnementaux, favoriser l’intermodalité et porter attention à la gestion du chantier).

Décembre 2018 : l’équipe Valode et Pistre-Ceetrus est désignée lauréate.

27 juin 2019 : la commission départementale d’aménagement commercial émet un avis défavorable au projet, dénonçant des surfaces commerciales surdimensionnées « portant atteinte au tissu commercial environnant, donc à la vie urbaine du quartier ».

3 septembre 2019 : un collectif d’architectes, d’urbanistes et d’historiens, estime que le projet doit être abandonné (voir l’article dans le N° 104 de SOS Paris : « la gare a perdu le nord »)

17 septembre 2019 : les architectes Valode et Pistre, artisans du projet, répondent dans le Monde : « Tout est fait dans ce projet, pour que le voyageur passe d’un lieu subi à un lieu qu’il aura plaisir à fréquenter, un lieu humanisé ».

2 octobre 2019 : Jean-Louis Missika et la maire du 10e arrondissement, Alexandra Cordebard appellent à revoir la proposition : « ce projet ajoute presque 90 000 m2 de bâtiments dans un espace restreint et sur une parcelle très contrainte, c’est beaucoup trop ! La SNCF a pris l’offre financière la plus intéressante, ce n’est ni un choix urbain, ni un choix architectural ». Ce même 2 octobre, Valérie Pécresse, présidente de l’Ile-de-France, a critiqué un possible arrêt de la rénovation de la gare et refuse l’éventualité de participer à un projet alternatif.

7 octobre 2019 : le secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, a affirmé à France 3 que le dossier serait « validé » par le gouvernement, les travaux étant nécessaires pour les 700 000 Franciliens qui utilisent la gare chaque jour.

8 octobre 2019 : Jean-Louis Missika dénonce un « passage en force » (BFM.TV) d’un projet non respectueux du patrimoine.

10 octobre 2019 : la commission nationale d’aménagement commercial valide le projet.

18 octobre 2019 : à la suite de cette approbation, une nouvelle tribune est signée par un collectif d’architectes, urbanistes et historiens, réitérant leurs critiques émises dans le texte du 10 octobre : « le projet doit être revu en profondeur… la halle sera bel et bien défigurée par les passerelles et les dalles… la vraie modernité… serait celle de l’espace retrouvé, du vide, de la fluidité, de la simplicité, de la lumière ».

4 novembre 2019 : la maire de Paris, Anne Hidalgo, donne mission à 4 experts pour étudier les modalités d’amélioration du projet d’ici le 19 décembre 2019. Ce sont Jean-Louis Subileau et Pierre Veltz, tous deux Grand Prix d’urbanisme, et deux architectes et urbanistes, Anne Mie Depuydt et Caroline Poulin qui sont nommés.

Du 20 novembre 2019 au 8 janvier 2020 : l’enquête publique préalable à la délivrance du permis de construire est ouverte et les registres d’enquête sont consultables à la préfecture de Paris et d’Ile de France, ainsi que dans les mairies des 9e, 10e, 18e, 19e arrondissements.

6 décembre 2019 : Sibylle Vincendon écrit dans le journal Libération : « La désignation par la Ville de Paris de quatre experts chargés de « formuler des pistes d’amélioration », acceptée par Guillaume Pépy, alors président de la SNCF, était censée calmer le jeu. Membre du quatuor, Pierre Veltz, raconte l’accueil qui leur a été fait chez StatioNord, la société montée par CEETRUS et la SNCF : « Ils ont attendu le 20 novembre pour nous répondre qu’il faudrait que nous posions nos questions, via la commission d’enquête ». CEETRUS estime que les experts désignés par la Ville sont des tiers comme n’importe quelle association et n’ont qu’à déposer leur contribution dans les registres de l’enquête publique ».

L’avis favorable de la CNAC permet la délivrance du permis de construire par le préfet de Paris et de l’Ile de France après une enquête publique. Cette enquête publique se tient du 20 novembre au 8 janvier 2020 ; les travaux pourraient commencer en janvier 2020. Mais il est difficile de concevoir la construction de la gare dans son projet actuel sans l’approbation de la Mairie de Paris. L’échéance de 2024 semble alors intenable.

Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de Anne Hidalgo a pris une position nette en envisageant une réunion avec les différents acteurs auprès du préfet : « on ne se contentera pas de modifications marginales, tout dans ce projet est insoutenable ». Il envisage même un recours contentieux, sur la décision de la CNAC et le permis de construire.

Cette éventualité fait frémir Guillaume Pépy, encore président de la SNCF : « repartir à zéro, c’est trois à cinq ans pour construire le projet, puis deux à trois ans de travaux ; on se retrouve en 2027 ». Ce scénario catastrophe est inenvisageable pour la maire de Paris, la gare du Nord étant un pôle de transports fondamental pour les Jeux Olympiques de 2024, irrigant de nombreux sites dans les départements septentrionaux.

C’est pourquoi, sans doute, le 18 octobre, la SCNF et la Ville ont suscité une réunion de médiation présidée par le préfet et nommé une commission d’experts pour amender le projet. L’exercice est périlleux, le cahier des charges ne pouvant être modifié substantiellement, faute de quoi, l’appel d’offres de décembre 2018 devrait être relancé. En outre, l’opération commerciale finançant l’intégralité de la rénovation, un nouvel équilibre économique devra être trouvé. Porter des améliorations sur l’inter modalité avec les bus et vélos certes ; mieux aménager les accès et les relations avec le quartier, pourquoi pas ? Mais, la suppression de dizaines de milliers de m2 de commerces et bureaux serait sans doute une menace pour l’avenir de l’opération. La Ville de Paris, la Région, la métropole du Grand Paris, l’État sont-ils prêts à investir dans une diminution des surfaces commerciales, une plus grande lisibilité des parcours des voyageurs ? Rien n’est moins sûr et la porte est étroite !

Vue du projet pour la gare du Nord © Valode et Pistre

Il fut un temps récent où un aménageur avait un rôle d’intermédiaire entre les maîtres d’ouvrages, en l’occurrence la mairie et la SNCF. Dans ce cas présent, la Ville négocie directement avec le promoteur Ceetrus sans aucune médiation. C’était l’AREP, l’aménageur de la SNCF qui avait comme interlocuteur le promoteur. Aujourd’hui l’intermédiaire « aménageur » n’existe plus. On peut se poser la question

de l’abandon d’une déontologie certaine. Dans ce contexte de mutation réelle de l’implication des acteurs et de l’absence de médiateur, quelle sera la position de l’État qui lui délivrera le permis de construire ?

La gare n’a toujours pas retrouvé le Nord !

« Quand on travaille sur l’existant, il faut l’aimer », Jean-Marie Duthilleul.

Jean-Pierre Courtiau