L’aménagement et l’urbanisme nécessitent d’être pilotés par l’État et/ou les autorités locales, qui sont à la fois régulateurs, bâtisseurs, financeurs et gestionnaires. Cela s’appelle la maîtrise d’ouvrage. Mais depuis quelques années, leur rôle est sournoisement mis à mal. L’exemple le plus visible est celui des partenariats public-privé (PPP). Faute de moyens, et parce qu’on ne veut plus s’endetter, on fait appel à des prestataires (c’est presque toujours Bouygues, Vinci ou Unibail-Rodamco qui gagnent) qui financent, construisent et gèrent, en échange d’un loyer. La plupart du temps, la qualité n’est pas au rendez-vous et le coût final se révèle exorbitant : les exemples du ministère de la Défense à Balard et du Palais de Justice aux Batignolles, nous le prouvent.

Dans le Treizième, nous connaissions déjà la pratique des « appels à projets urbains innovants » lancés dans le cadre des opérations « Réinventer Paris » : l’avenue d’Italie devant le centre commercial, l’espace viaire sous la ligne 6 du métro boulevard Blanqui, l’Institut dentaire George Eastman et quelques autres.

Le premier objectif est ici de faire rentrer de l’argent dans les caisses de la Ville, et la conséquence est que les promoteurs en gagnent encore plus. On demande à des équipes privées de présenter des idées « innovantes » : mettre du végétal à tous les étages, créer des espaces de « coworking » et préparer la gouvernance de nos villes par les géants du numérique. Peu importe les besoins et l’avis des habitants, ce qui prime, c’est l’offre des équipes composées, de promoteurs immobiliers, de financiers, et le cas échéant… d’architectes.

Un seuil quantitatif a été franchi pour l’aménagement du secteur Bruneseau Nord à Paris Rive-gauche. C’est une première pour une ZAC : un concours est lancé pour réaliser un morceau de ville formé de trois grands îlots, de l’espace public les desservant, et de près 100 000 m² de constructions. Le cahier des charges, très ouvert sur le plan des formes et du programme, ne donnait que des ordres de grandeur : 25 000 m² minimum de logements ; 25 000 m² maximum de bureaux ; 50 000 m² ouverts (logements, équipements, commerces…). Les bâtiments seront totalement privés, aucun logement social et aucun équipement public ne figure dans le cahier des charges. Aux investisseurs de décider des programmes… Sous couvert d’innovation, on s’affranchit du processus habituel de fabrique de la ville.

Quatre équipes intégrées (investisseurs, concepteurs, programmateurs) ont été sélectionnées pour remettre une offre. Chaque équipe a dépensé plus d’un million d’euros en frais d’études ; le lauréat a été choisi selon un processus se rapprochant sur la forme de la méthode des consultations en Partenariat Public Privé. Les maquettes présentées sont séduisantes par leur architecture, mais l’urbanisme est totalement absent. Le « laisser-faire » de la puissance publique a aussi un vice caché : il empêche la démocratie participative de fonctionner :

  • pour « Réinventer Paris », il n’y a eu aucune concertation sur le choix des sites proposés : qui a décidé de vendre ou de louer le bâtiment de l’ancien conservatoire, celui de l’Institut George Eastman, ou l’espace sous le métro aérien du boulevard Blanqui ?
  • il n’y a -par construction- aucune concertation pendant la phase d’élaboration des projets, puisque la compétition entre équipes leur impose la plus grande discrétion ;
  • il n’y a pas plus de concertation pour le choix du projet retenu : compte tenu de la composition du pseudo « jury », les jeux sont faits avant qu’il se réunisse ;
  • plus grave encore, la réalisation est totalement privatisée : le projet lauréat est à prendre ou à laisser. À Bruneseau, on nous permettra peut-être de donner un avis sur quelques miettes du programme…

Il serait temps qu’on arrête ce type de démarche et que la collectivité reprenne la main. Nous demandons un moratoire sur l’aménagement de Bruneseau -et aussi sur les projets de « Réinventer Paris »-. Nous livrons ce sujet aux débats de la campagne des municipales de mars prochain.

Pierre Deblock
Président de l’association pour le développement et l’aménagement du 13e

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