SOS Paris et FNE Paris participaient à la « table des associations » organisée le 28 octobre 2021, en présence des urbanistes de l’agence Ville Ouverte, en charge du projet qui concerne toute la zone en rose sur le plan ci-dessus. Voici l’avis conjoint de nos deux associations, que nous leur avons transmis.
Pourquoi un si gros projet ?
Les réactions du monde entier lors de l’incendie de Notre-Dame ont montré combien il fallait d’abord préserver ce joyau du patrimoine mondial et prendre le temps de réfléchir, agir par petites touches et avec modération. Il doit en aller de même pour ses abords, qui participent pleinement à l’expérience du lieu. Dans la consultation, close le 30 octobre, la majorité des avis s’accorde sur la nécessité de ne pas toucher au site : limiter les interventions et les aménagements, l’entretenir, en prendre soin, limiter les occupations du parvis…
On peut même se demander pourquoi il faudrait un grand projet de réaménagement de ces abords alors que la plupart des personnes pensent qu’il n’y a finalement que très peu de choses à changer. On ne peut qu’en déduire que l’intention cachée de ce projet est de transformer ce lieu en Carrousel du Louvre commercial.
Échaudés par des précédents
En tant qu’associations de défense du patrimoine et de l’environnement, nous recevons constamment et abondamment des témoignages de Parisiens mécontents du réaménagement de nombreuses places et sites de la ville depuis plusieurs années. Dans beaucoup de ces transformations, on observe certains travers :
- des abattages d’arbres, des suppressions de parcelles de pleine terre et une diminution de la nature, à l’opposé des intentions affichées et de la communication
- à l’inverse, une végétalisation superficielle et peu durable (arbustes en pot, jardinières) et/ou dans des lieux inadaptés (Panthéon, pont de l’Alma, etc.)
- une rupture avec l’esthétique classique de la ville à laquelle Parisiens et touristes sont très attachés
- la disparition des éléments de décor ancien, modestes ou pas, tels que les margelles, les bordures de fontaines, les petits arceaux de protection des pelouses, et notamment tout le décor XIXe siècle
- des nouveaux types de mobiliers qui induisent de nouveaux comportements et des changements trop forts d’usages de ces lieux, parfois au mépris de leur histoire et de leur solennité
- le poids démesuré d’une communication irritante, infantilisante, abusant de la novlangue et déconnectée de la réalité vécue par les habitants.
Parisiens et associations sont donc échaudés. Nous souhaitons que le réaménagement des abords de Notre-Dame, le cœur même de Paris, ne reproduise pas tout ceci. Nous craignons que la Ville ne fasse essentiellement de la communication avec ce projet. La cathédrale millénaire mérite mieux que cela. Voici ci-dessous les points sur lesquels nous serons vigilants.
Pas seulement pour les touristes
Le problème actuel majeur du site est la très mauvaise offre de commodités pour les touristes. En dehors de ce point, on ne voit pas bien quels autres services le nouveau projet chercherait à apporter. Il y a déjà de nombreux commerces à proximité immédiate et si des besoins se font sentir, ce tissu commercial est vivant et on peut le faire évoluer. Il ne faudrait pas que le projet ait pour conséquence d’encombrer l’espace public : nous ne souhaitons pas voir pousser des kiosques, édicules, guérites, ou autres équipements, commerciaux ou non.
Le site est aussi très fréquenté par les Parisiens eux-mêmes : riverains, travailleurs, piétons et cyclistes qui passent par cet axe important, promeneurs et fidèles de Notre-Dame. Le projet ne doit pas consister à reconfigurer les lieux en n’ayant que l’accueil et la gestion des flux de touristes comme objectif. Le but ne doit pas être non plus d’augmenter la capacité d’accueil des touristes. Il faut accepter que les bâtiments anciens, comme les espaces extérieurs, ne sont pas extensibles à l’infini et qu’ils ont une limite d’accueil au-delà de laquelle on fait des concessions regrettables. Nous craignons par ailleurs que les travaux et la réhabilitation partielle de l’Hôtel-Dieu n’induisent une exploitation commerciale du site.
Pas plus d’évènements
L’intention affichée de « diversifier les usages » du site nous inquiète. On a vu que beaucoup de transformations de sites parisiens consistent en bonne partie à en à faciliter et à en favoriser l’exploitation évènementielle. Cela ne doit pas être le cas pour les abords de Notre-Dame, qui ne devrait accueillir des évènements qu’exceptionnellement, comme c’était le cas avant l’incendie.
Limiter drastiquement les interventions
Les installations de la deuxième partie du XXe siècle (parvis) ne sont pas toutes réussies et peuvent bien sûr être refaites. En revanche, tout ce qui date ou est à la façon du Second Empire (le square Jean-XXIII, le mobilier, les réverbères) et du XIXe siècle en général (les quais), qui a fortement participé au rayonnement de Paris, et auquel Français et étrangers tiennent énormément, devrait faire l’objet du moins de remaniement possible.
Par pitié, de la sobriété !
Les abords de Notre-Dame ne sont pas isolés du reste de Paris. Leur esthétique XIXe siècle est issue de la même « charte graphique » qui a servi à homogénéiser la ville. Il ne faudrait pas chercher à y imposer une nouvelle esthétique spécifique qui romprait cette homogénéité. Ainsi, nous souhaitons que soit à tout prix évitée une nouvelle architecture et un nouveaux design. Le site serait vampirisé. C’est tout le problème pour ce type de projet : le principe même d’un concours d’architecture menace le site par l’envie qu’ont les compétiteurs d’y laisser leur patte. Or, c’est tout l’inverse que nous attendons d’eux dans un cas comme celui-ci.
Les nouveaux éléments, s’ils sont indispensables, comme le dallage, les recoins avec bancs, devraient être sobres, afin de s’effacer devant la cathédrale et le patrimoine classique déjà présent. Cela vaut aussi pour les panneaux de signalétique : on imagine que les architectes seront là aussi tentés de créer un nouveau design. Il serait au contraire préférable de conserver ou reproduire les panneaux Second Empire. Par ailleurs, nous reprochons que presque tous les nouveaux bancs en ville soient sans dossier et manquent donc de confort, notamment pour les personnes âgées.
L’ancien monde, et le nouveau…
En 2016, le projet Perrault/Bélaval prônait avec morgue et cynisme tout ce qu’il ne faut pas faire : destruction majeure de patrimoine, prédation commerciale et détournement d’usages, remplissage des espaces libres et de respiration, y compris du fleuve. Si ce projet a heureusement été abandonné, il n’a jamais été clairement désavoué par les responsables.
À présent une nouvelle démarche est entreprise pour remanier ce site exceptionnel. Tirons des leçons du Covid-19. Les espaces extérieurs nous sauvent en temps de pandémie comme en temps d’inondations. Ils sont aussi nécessaires aux habitants au quotidien et en toutes saisons. Dans le Diagnostic patrimonial et paysager des abords de Notre-Dame-de-Paris, à la page 56 (cliquez ici), le tableau des pistes de réflexion est riche et devrait largement inspirer un projet sobre et respectueux du site.
Comme cette consultation le montre, les habitants et les associations sont prêts à participer à l’élaboration du projet. Selon nous, c’est la condition pour qu’il reste acceptable par les Parisiens. Nous insistons sur la vigilance et la délicatesse à apporter à ces aménagements qui doivent rester quasi invisibles. Nous avons noté lors de nos échanges avec le cabinet d’urbanisme Ville Ouverte que nous étions écoutés et des éléments de réponse semblaient aller dans la bonne direction. Nous réaffirmons la vigilance que nous allons apporter à ce dossier majeur.